Voici un extrait du travail sur une étude des mécanismes de la pensée pour comprendre la souffrance humaine. (Dukkha)
L'étude sur les causes de la souffrance (Dukhha) ne figure pas mais elle est aussi importante que les remèdes.
L'approche scientifique :
L'approche scientifique est une source riche d'enseignements grâce aux importants développement des neurosciences depuis quelques années.
Il ne s'agit pas de chercher à légitimer les enseignements bouddhiques par des preuves scientifiques mais d'activer l'esprit du chercheur de la Voie, à la lumière des connaissances et de l'environnement culturel de notre époque.On peut bien sûr exprimer cet esprit de chercheur de bien d'autres façons.
Les neurosciences mettent en évidence, de manière expérimentale , que la subjectivité (la conscience individuelle) repose sur des mécanismes cérébraux « objectivement » observables grâce à certains dispositifs (scanner, électro-encéphalogrammes, notamment).
D'autre part, il est admis que les capacités intellectuelles de l'espèce humaine (volume du cerveau) ont été déterminantes pour assurer sa survie sur la terre.
La subjectivité, c'est à dire l'activité propre à un individu déterminé, répond à un double mécanisme :
- au niveau personnel il s'agit de maintenir une « identité » propre, distincte des autres « identités », à laquelle l'individu adhère totalement (son comportement, son caractère, ses émotions etc.) ; « Je » suis celui qui pense, agit, éprouve des sentiments...
- au niveau de l'espèce humaine il s'agir d'assurer sa survie biologique, dans des environnements parfois hostiles (surtout pour les premiers groupes humains...) par le maintien de capacités psycho-physiologiques, dont l'une des manifestations « observables » est la conscience, le mental, l'intellect...
Comment ça marche, succinctement :
Toutes nos activités qualifiées de « conscientes » (qu'il s'agisse d'actions, de pensées, d'intentions) sont rendues possibles grâce à des opérations mentales non conscientes, à différents niveaux du processus cérébral : perception, reconnaissance, analyse, mise en relation avec d'autres données déjà connues... Un nombre important d'opérations complexes sont ainsi effectuées avant même que, l'information ou le stimuli ne surgisse dans le champs de la conscience.
Mais, dans l'approche habituelle, ces activités sont reliées à une personne et non à un cortex cérébrale...puisque c'est ce qui définit le caractère conscient d'une information : « La conscience c'est ce dont on peut se faire une image à la première personne « selon Lionel Naccache). Antonio Damasio parle de la conscience de soi, la prise de conscience du sujet.
Pour Stanislas Dehaene « L'information consciente doit être accessible. Tous les processeurs disponibles dans notre cerveau peuvent exploiter une information consciente : possibilité de porter un jugement, de mémoriser. Alors que l'information non consciente est confinée dans certaines zones ».
En résumé, l'individu existe parce qu'il a conscience, ou la capacité d'être conscient, et la conscience est ce que peut exprimer un individu (qui est «observable » par un observateur extérieur).
On pourrait simplement dire que conscience et individu, sont une seule et même chose, ce qui ne permet pas vraiment de définir l'un ou l'autre mais ouvre une porte vers une compréhension de ce qu'est ou n'est pas, ce qu'on appelle un individu, le fameux Je en essayant d'approfondir le mécanisme de la conscience.
L'importance du non-conscient :
De nombreuses opérations non conscientes sont effectuées dans le cerveau, sans jamais se traduire par une activité consciente. C'est le cas notamment des actes automatiques, qui représentent une part importante de notre existence, même s'ils ont été appris consciemment à l'origine, comme par exemple lire, faire du vélo ou conduire une voiture. Les opérations non conscientes peuvent aussi avoir pour fonction de participer à des opérations cérébrales n'ayant pas vocation à accéder au champ de la conscience, mais nécessaires à la survie de l'organisme. Différentes parties du cerveau sont dédiées à ces différentes opérations.
Non seulement les mécanismes de la conscience, c'est à dire de la « reconnaissance » d'informations, de stimuli, sont détectables, mais des mécanismes de « supervision » permettent à l'individu de confirmer l'exactitude (supposée...) de cette reconnaissance, ou de détecter une erreur (considérée comme telle) font également l'objet d'expérience. Certaines parties du cerveau « contrôlent » les activités d'autres parties. Il s'agit de la faculté d'introspection, ou métacognition qui permet d'établir un certain degré de confiance dans une opération mentale effectuée, renforçant ainsi la « puissance » du mental, puisqu'il a une capacité de surveillance de sa propre activité (sans avoir à rendre de compte à personne !)..
D'un point de vue médical, l'attachement, le rejet de ce qui déplait, les désirs etc...ne sont pas des pathologies mais au contraire ces comportements sont considérés comme des manifestation d'une bonne santé psychologique, sauf évidemment quand ils sont inadaptées, et comportent un risque pour la personne ou la collectivité.
Par ailleurs dans la société de type occidentale aujourd'hui, le désir, la jouissance, le « toujours plus », la « réussite », etc. sont à la base du modèle économique dominant. Entretenir la peur de vieillir ou le désir de plaire sont indispensables pour vendre certains produits, le besoin d'être reconnu, accepté par les autres fait vendre des smartphones, s'inscrire sur les réseaux sociaux etc...Tout cela est enseigné dans les écoles de commerce. Des pays qui étaient restés longtemps en dehors de ce système, comme la Chine ou l'Inde s'y jettent à corps perdu.
Les mécanismes de la conscience « individuelle « décrites aujourd'hui par les neurosciences (sans qu'il y ait consensus entre les chercheurs) font écho à des analyses abondamment développées dans la littérature bouddhique depuis le 4ème siècle avant notre ère (ce qui ne signifie pas qu'il faille prendre tous les textes qualifiés de bouddhistes pour argent comptant) :
•il n'existe pas de zone du cerveau où siégerait une conscience individuelle ; ce qu'on appelle conscience met en jeu tout le système cérébral (y compris les organes des sens, vue, ouïe etc.) ; la conscience est conscience de quelque chose, même s'il existe une « capacité » mentale à activer cette conscience ; donc il n'y a pas de séparation entre un « corps » et « conscience individuel », pas de dualité matière-esprit
•ce qui est vécu comme un « événement » ou une « activité » consciente est en réalité une succession très rapide d'opérations cérébrales inconscientes, des « micro-événements » sans liens entre eux à priori ; il s'agit de processus, non d'entités propres. Certains chercheurs utilisent le terme « illusion » pour qualifier ce qui est pris pour une réalité par l'individu. Ce qui est « conscientisé » comme un phénomène (matériel ou mental), est une fabrication momentanée. Cela concerne la totalité des phénomènes avec lesquelles on entre en contact.
•une grande partie des activités cérébrales sont « non conscientes », ce qui signifie que la plupart de nos comportements sont dictées par une certaine « nécessité » propre à chaque individu et que cette nécessité elle même est alimentée par des actes. Le système s'auto-reproduit . On pourrait parler d'une « idée de soi » potentiellement présente dès la naissance. (qu'elle soit fabriquée par notre environnement, apprise, innées...)
•quand on dit « je suis conscient que ce que je fais est bien (ou mal,) » en réalité ce sont certaines fonctions cérébrales qui « calculent » la probabilité pour que cette appréciation soit « correcte » toujours en fonction d'une « nécessité », on pourrait dire aussi en fonction d'une « idée de soi », présente sous forme de « mémoire » (alimentée par notre milieu, nos expériences …)
•le cerveau a la capacité de faire surgir dans le champ de la conscience, des informations, auparavant ignorées ; ce qui permet par exemple d'améliorer les performances à un exercice. La pratique de l'attention relève de cette capacité. Cette capacité est associée à certaines zones cérébrales.
•le cerveau bénéficie d'une grande plasticité, c'est à dire qu'il est capable de créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et les connexions de ces neurones en fonction de l'environnement et des expériences vécues (par l'individu).
On peut dire en résumé que la conscience est un processus, non pas une entité, et que c'est par ce processus que se construit une « histoire », « une idée de soi » à partir d'informations sans lien entre eux, à priori, perçue comme une ou la « réalité ». Par le même processus, concomitamment, se fabrique un sujet observateur de cette réalité, le Moi, le Je, l'égo. Tout se passe comme si le rôle de la conscience était de transformer des « fabrications-illusions » du mental en quelque chose appelée « réalité ».
Face à cette « réalité », cet objet, la conscience alimente instantanément la fiction d'un sujet, d'un Je, d'une conscience individuelle, l'égo.
Mais il est possible toujours selon l'approche des neurosciences,
- de renforcer le champs de la conscience par la mise en oeuvre de la vigilance, de l'attention, et ainsi de prendre connaissance de certains « événements » jusqu'à lors « inconnu de la conscience »
- de susciter un environnement, d'effectuer certaines actions, susceptibles de modifier nos mécanismes mentaux habituels.
Ainsi les neurosciences mettent en évidence selon une approche expérimentale :
- d'une part que nous sommes « dirigés » par le mental (le système cérébrale), inconsciemment, et que l'identification à un Moi-Je est une illusion,
- d'autre part qu'un espace de liberté existe grâce auquel une évolution est possible.
Il y a ainsi une réalité à connaître, à approfondir sur le fonctionnement du mental, et des actions à entreprendre dans cet espace de liberté.
C'est la raison d'être des enseignements bouddhistes :
•l'étude de l'esprit, la connaissance au delà des apparences
•apaiser le mental, dépasser la dualité corps-esprit, par la pratique de la concentration et de l'attention
•dépasser les conditionnements du mental identifié à un Moi-Je humain, à partir d'exercices et de pratiques, non pas pour remplacer certains conditionnements ou habitudes mentales par d'autres, mais pour « démasquer », « démystifier » le fonctionnement du Moi-Je. Il n'y a rien à rejeter, au contraire, il s'agit de Voir, intimement. Il n'y a pas non plus de connaissance à « appréhender » puisqu'il s'agit d'un processus, d'un mouvement, insaisissable par le mental. Dès que le mental la saisit, elle disparaît et redevient une connaissance illusoire, un Je...